Conclusion générale
L’offre de soins de pédopsychiatrie souffre de faiblesses anciennes et structurelles, mises en lumière par les effets délétères de l’épidémie de covid 19 sur la santé mentale des jeunes. Si les données épidémiologiques complètes manquent pour définir finement l’étendue des besoins de soins psychiques infanto-juvéniles, la Cour estime que 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent d’un trouble psychique, dont 600 000 à 800 000 de troubles plus sévères. 750 000 à 850 000 enfants et adolescents bénéficient actuellement de soins prodigués en pédopsychiatrie par des professionnels spécialisés, pour un coût d’environ 1,8 milliard d’euros en 2019. L’écart entre les besoins et l’offre disponible montre les difficultés structurelles d’accès à l’offre de soins : manque de soins de première ligne adaptés à la diversité des troubles, insuffisante gradation des soins psychiques infanto-juvéniles, inégalités territoriales de santé.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation difficile : s’agissant de l’offre spécialisée, la crise de l’attractivité de la profession de pédopsychiatre qui pèse sur la qualité de l’offre de soins, la surcharge des établissements publics hospitaliers, dont les CMP-IJ qui assument l’essentiel de l’offre de soins de pédopsychiatrie et la politique dite de « virage ambulatoire » qui, en substituant aux hospitalisation à temps complet des prises en charge ambulatoires, a eu pour effet la diminution du nombre de lits de 58 % en dix ans.
Pour faciliter l’accès aux soins des enfants et des adolescents, et sans attendre les résultats de l’expérimentation des maisons de l’enfance et des familles, prévus pour 2026, il pourrait être proposé de créer une « maison de l’enfance et de l’adolescence », structure intégrée sous forme de « guichet unique ». Les familles pourraient alors contacter directement ces structures, qui seraient dotées d’un numéro d’appel centralisé, d’une plateforme numérique unique et d’un service de régulation des demandes. La mutualisation de certaines fonctions, et tout particulièrement l’organisation d’un accès partagé, permettraient de pallier en partie les carences actuelles de l’offre de première ligne (médecins généralistes, pédiatres et psychologues), en leur donnant le temps de se former et de se structurer.
Si la volonté des pouvoirs publics de mieux organiser l’offre de soins psychiques infanto-juvéniles s’est manifestée clairement depuis 2018, avec l’adoption de la feuille de route sur la santé mentale, il reste que l’amélioration de la pertinence de l’offre de soins de pédopsychiatrie n’est pas encore un objectif de santé publique à part entière. Une planification dotée d’objectifs quantifiables et d’un calendrier de mise en œuvre serait indispensable à l’amélioration de l’efficacité du pilotage national et régional. Par ailleurs, en dépit des progrès réalisés avec la mise en place du délégué ministériel à la santé mentale, psychiatrie, la gouvernance est encore trop peu opérationnelle. Au niveau national, il importe d’élargir explicitement le champ d’intervention de ce délégué à celui de la pédopsychiatrie et de renforcer son positionnement institutionnel en le plaçant au niveau interministériel. Il deviendrait ainsi un délégué interministériel à la santé mentale, à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie. Au niveau régional, les ARS doivent être mieux dotées en termes d’outils de pilotage pour accélérer la mise en œuvre vérifiable des projets territoriaux de santé mentale, qui devraient comporter un chapitre spécifiquement dédié à la pédopsychiatrie.
Enfin la revitalisation du secteur est indispensable pour résoudre les tensions en termes d’offre et d’organisation des soins de pédopsychiatrie. Les pouvoirs publics doivent donc renforcer l’attractivité du métier en valorisant les parcours hospitalo-universitaires, en soutenant la recherche française dans la discipline et en veillant aux conditions de travail des pédopsychiatres. Il importe également de renforcer la formation des médecins et pédiatres, pour qu’ils puissent assurer un rôle de dépistage de première ligne, et mieux intégrer les psychologues et les infirmiers de pratique avancée, acteurs essentiels du métier, dans le parcours de santé psychique infanto-juvénile.
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-pedopsychiatrie
OMS – Rapport mondial sur la santé mentale : transformer la santé mentale pour tous. Vue d’ensemble – Juin 2022
La santé mentale est cruciale partout et pour chacun d’entre nous. Dans le monde entier, les besoins en santé mentale sont importants, mais les réponses insuffisantes et inadaptées. Le présent Rapport mondial sur la santé mentale : transformer la santé mentale pour tous doit devenir une source d’inspiration et d’information en vue d’améliorer la santé mentale pour tous. Exploitant les dernières données probantes disponibles, présentant des exemples de bonnes pratiques dans le monde entier et s’appuyant sur des témoignages directs, le Rapport explique clairement pourquoi et où des changements sont indispensables, et comment procéder au mieux. Il appelle toutes les parties prenantes à travailler ensemble pour que la santé mentale se voie accorder plus d’importance et suscite un plus large engagement, à repenser les environnements influant sur la santé mentale et à renforcer les systèmes chargés de la santé mentale.
https://www.who.int/fr/publications-detail/9789240050860
Communiqué de presse
Dans un nouveau rapport, [l’OMS] exhorte les décideurs et les défenseurs de la santé mentale à intensifier leur engagement et leur action pour que changent les attitudes, les mesures et les approches à l’égard de la santé mentale, de ses déterminants et des soins qui lui sont consacrés.
L’Organisation mondiale de la Santé a publié aujourd’hui son plus large tour d’horizon de la santé mentale dans le monde depuis le début des années 2000. Ce travail approfondi propose un plan directeur pour les gouvernements, les universitaires, les professionnels de la santé et la société civile, entre autres, qui a pour objectif ambitieux d’aider le monde à transformer la santé mentale.
En 2019, près d’un milliard de personnes – dont 14 % des adolescents dans le monde – étaient atteints d’un trouble mental. Les suicides représentaient plus d’un décès sur 100 et 58 % d’entre eux survenaient avant l’âge de 50 ans. Les troubles mentaux sont la principale cause d’invalidité et sont responsables d’une année vécue avec une incapacité sur six. Les personnes atteintes de troubles mentaux graves ont une durée de vie réduite de 10 à 20 ans par rapport à la population générale, souvent en raison de pathologies physiques évitables. Parmi les causes majeures de dépression figurent les abus sexuels pendant l’enfance et le harcèlement par l’intimidation. Les inégalités sociales et économiques, les urgences de santé publique, la guerre et la crise climatique font partie des menaces structurelles mondiales qui pèsent sur la santé mentale. La dépression et l’anxiété ont augmenté de plus de 25 % au cours de la première année de la pandémie seulement.
Partout dans le monde, la stigmatisation, la discrimination à l’encontre des personnes souffrant de problèmes de santé mentale et les violations de leurs droits humains sont fréquents dans les communautés et les systèmes de soins ; les tentatives de suicide sont encore criminalisées dans 20 pays. Dans tous les pays, ce sont les plus pauvres et les plus défavorisés de la société qui sont les plus exposés au risque de troubles mentaux et qui sont également les moins susceptibles de bénéficier de services adéquats.
Même avant la pandémie de COVID-19, seule une petite fraction des personnes en ayant besoin avaient accès à des soins de santé mentale efficaces, abordables et de qualité. Ainsi, 71 % des personnes atteintes de psychose dans le monde ne bénéficient pas de services de santé mentale. Alors que 70 % des personnes atteintes de psychose seraient traitées dans les pays à revenu élevé, elles ne sont que 12 % à bénéficier de soins de santé mentale dans les pays à faible revenu. Pour ce qui est de la dépression, de larges écarts dans la couverture des services sont observés dans tous les pays : même dans les pays à revenu élevé, seul un tiers des personnes souffrant de dépression reçoit des soins de santé mentale formels et on estime que le traitement adéquat minimal de la dépression varie de 23 % dans les pays à revenu élevé à 3 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire inférieur.
Ce rapport complet de l’OMS souligne, en s’appuyant sur les dernières données disponibles, en présentant des exemples de bonnes pratiques et en se faisant l’écho de l’expérience vécue par les individus, pourquoi et où le changement est le plus impératif et comment il peut être réalisé au mieux. Il appelle toutes les parties prenantes à travailler ensemble pour relever l’importance accordée à la santé mentale et l’engagement en sa faveur, remodeler les environnements qui l’influencent et renforcer les systèmes qui prennent soin de la santé mentale des gens.
Le Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré : « Chacun dans sa vie est proche d’une personne touchée par des problèmes de santé mentale. Une bonne santé mentale se traduit par une bonne santé physique et ce nouveau rapport présente des arguments convaincants en faveur du changement. Les liens inextricables entre la santé mentale et la santé publique, les droits humains et le développement socioéconomique signifient que le changement des politiques et des pratiques en matière de santé mentale peut apporter des avantages réels et substantiels aux individus, aux communautés et aux pays du monde entier. L’investissement dans la santé mentale est un investissement dans une vie et un avenir meilleurs pour tous. »
Les 194 États Membres de l’OMS ont tous approuvé le Plan d’action global pour la santé mentale 2013-2030 (en anglais), par lequel ils s’engagent à atteindre des cibles mondiales pour transformer la santé mentale. Les progrès réalisés localement au cours de la dernière décennie prouvent que le changement est possible. Mais ce changement ne se produit pas assez rapidement, et l’histoire de la santé mentale reste une histoire marquée par l’indigence et la négligence : sur les maigres dépenses gouvernementales consacrées à la santé mentale, deux dollars sur trois vont à des établissements psychiatriques indépendants plutôt qu’à des services de santé mentale communautaires plus proches des gens. Pendant des décennies, la santé mentale a été l’un des domaines les plus négligés de la santé publique, ne recevant qu’une infime partie de l’attention et des ressources dont elle a besoin et qu’elle mérite.
Dévora Kestel, Directrice du Département Santé mentale et usage de substances psychoactives de l’OMS, a appelé au changement : « Chaque pays a de larges possibilités de faire des progrès significatifs vers une meilleure santé mentale pour sa population. Qu’il s’agisse d’élaborer des politiques et des lois plus solides en matière de santé mentale, d’intégrer la santé mentale aux régimes d’assurance maladie, d’instaurer ou de renforcer les services de santé mentale communautaires ou d’introduire la santé mentale dans les soins de santé généraux, les écoles et les prisons, les nombreux exemples présentés dans ce rapport montrent que les changements stratégiques peuvent faire une grande différence. »
Le rapport appelle instamment tous les pays à mettre en œuvre le Plan d’action global pour la santé mentale 2013-2020. Plusieurs recommandations sur les mesures à prendre y sont formulées : elles sont regroupées en trois « voies vers la transformation » axées sur le changement d’attitude à l’égard de la santé mentale, la prise en compte des risques pour la santé mentale et le renforcement des systèmes de soins de la santé mentale, comme suit :
1 Relever l’importance accordée à la santé mentale et l’engagement en sa faveur. Par exemple :
Accroître les investissements dans la santé mentale, non seulement en obtenant des fonds et des ressources humaines appropriés dans le secteur de la santé et d’autres secteurs pour répondre aux besoins en santé mentale, mais aussi grâce à un leadership engagé, à la mise en œuvre de politiques et de pratiques fondées sur des données probantes et à l’établissement de solides systèmes d’information et de suivi.
Intégrer les personnes ayant des problèmes de santé mentale dans tous les aspects de la société et de la prise de décision pour surmonter la stigmatisation et la discrimination, réduire les disparités et promouvoir la justice sociale.
2 Remodeler les environnements qui influent sur la santé mentale, y compris les habitations, les communautés, les écoles, les lieux de travail, les services de soins de santé et les environnements naturels. Par exemple :
Intensifier l’engagement dans tous les secteurs, notamment pour comprendre les déterminants sociaux et structurels de la santé mentale et intervenir de manière à réduire les risques, à renforcer la résilience et à éliminer les obstacles qui empêchent les personnes atteintes de troubles mentaux de participer pleinement à la société.
Mettre en œuvre des mesures concrètes pour améliorer les environnements dans l’optique de la santé mentale, notamment en intensifiant les mesures contre la violence entre partenaires intimes et la maltraitance et la négligence à l’égard des enfants et des personnes âgées ; en favorisant les soins attentifs pour le développement du jeune enfant ; en instaurant un soutien aux moyens de subsistance pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ; en introduisant des programmes d’apprentissage social et psychologique tout en luttant contre le harcèlement dans les écoles ; en changeant les attitudes et en renforçant les droits en matière de soins de santé mentale ; en améliorant l’accès aux espaces verts, et en interdisant les pesticides hautement dangereux associés à un cinquième de tous les suicides dans le monde.
3 Renforcer les soins de santé mentale en apportant des changements aux lieux, aux modalités, aux prestataires et aux bénéficiaires des soins de santé mentale.
Bâtir des réseaux communautaires de services interconnectés qui s’écartent des soins en milieu surveillé dans les hôpitaux psychiatriques et couvrent un éventail de soins et de soutien grâce à une combinaison de services de santé mentale intégrés aux soins de santé en général ; des services de santé mentale communautaires ; et des services au-delà du secteur de la santé.
Diversifier et élargir les options de soins pour les problèmes de santé mentale courants tels que la dépression et l’anxiété, sachant que le rapport avantages/coûts est de cinq pour un. Ceci passe par l’adoption d’une approche de partage des tâches élargissant les soins fondés sur des données probantes qui seront également offerts par les personnels de santé généraux et les prestataires communautaires. Il convient aussi d’utiliser les technologies numériques pour appuyer l’autoassistance guidée ou non guidée et fournir des soins à distance.
OMS – De nouvelles orientations de l’OMS pour mettre fin aux violations des droits humains dans le cadre des soins de santé mentale – Juin 2021
Au niveau mondial, la majorité des soins de santé mentale sont toujours prodigués dans des hôpitaux psychiatriques et les atteintes aux droits humains comme les pratiques coercitives sont encore bien trop fréquentes. Pourtant, comme le montrent les nouvelles orientations publiées aujourd’hui par l’Organisation mondiale de la Santé, l’approche consistant à dispenser des soins de santé mentale communautaires qui soient respectueux des droits humains et centrés sur le rétablissement du patient est à la fois efficace et économique.
Selon ces nouvelles recommandations, les soins de santé mentale doivent être assurés au niveau communautaire et englober également le soutien à la vie quotidienne, par exemple en facilitant l’accès au logement et en faisant le lien avec les services d’éducation et d’emploi.
Toujours dans ce nouveau document, intitulé « Orientations et dossiers techniques relatifs aux services de santé mentale communautaires : promotion des démarches centrées sur la personne et fondées sur ses droits », l’OMS affirme que les soins de santé mentale doivent se fonder sur les droits humains, conformément aux recommandations du Plan d’action global pour la santé mentale 2020-2030 adopté par l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2021.
Il faut aller bien plus vite dans la refonte des services de santé mentale
« Ces nouvelles orientations complètes plaident résolument pour une transition bien plus rapide depuis des services de santé mentale qui recourent à la coercition et sont presque exclusivement centrés sur la prise en charge médicamenteuse des symptômes, à une démarche plus globale et intégrée qui tienne compte de la situation particulière de la personne et de ses souhaits et offre tout un éventail d’approches de traitement et de soutien » a déclaré la Dre Michelle Funk, du Département Santé mentale et abus de substances psychoactives, qui a dirigé les travaux conduisant à ces orientations.
Depuis l’adoption de la Convention relative aux droits des personnes handicapées en 2006, un nombre croissant de pays se sont employés à réformer leurs lois, politiques et services en matière de soins de santé mentale. Cependant, à ce jour, ils sont peu nombreux à avoir mis en place les cadres nécessaires pour opérer les profonds changements imposés par les normes internationales relatives aux droits de l’homme. Partout sur la planète, les informations communiquées montrent que les atteintes graves aux droits humains et les pratiques coercitives sont encore bien trop courantes dans les pays, quel que soit leur niveau de revenu. Elles peuvent prendre la forme d’admissions et de traitements sous contrainte ; de mesures de contention manuelle, mécanique ou chimique ; de conditions de vie insalubres ; et de violences physiques et verbales.
Les gouvernements consacrent encore l’essentiel de leur budget de santé mentale aux hôpitaux psychiatriques
D’après les dernières estimations de l’OMS, les gouvernements consacrent à la santé mentale moins de 2 % de leurs budgets de santé. En outre, la majorité des dépenses de santé mentale déclarées sont consacrées aux hôpitaux psychiatriques, sauf dans les pays à revenu élevé, où ce chiffre est de 43 % environ.
Ces nouvelles orientations, destinées en premier lieu aux personnes chargées d’organiser et de gérer les soins de santé mentale, présentent les mesures à prendre dans différents domaines (législation, politiques et stratégies sur la santé mentale, mais aussi prestation de services, financement, perfectionnement des ressources humaines et participation de la société civile) pour s’assurer que les services de santé mentale respectent la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
On y trouve des exemples tirés de l’expérience du Brésil, de l’Inde, du Kenya, du Myanmar, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande ou encore du Royaume-Uni, autant de pays qui ont su mettre en œuvre des bonnes pratiques touchant notamment à l’absence de coercition, à l’inclusion dans la communauté et au respect de la capacité juridique des personnes (c’est-à-dire, de leur droit à prendre des décisions concernant leur traitement et leur vie).
Les services concernés englobent le soutien en cas de crise, la fourniture de services de santé mentale dans les hôpitaux généraux, les mesures d’accompagnement dans la vie quotidienne et le soutien dans le cadre de groupes de pairs. Le rapport donne aussi des informations sur le financement et les résultats des évaluations des services présentés. Les comparaisons fournies indiquent que les services communautaires recommandés produisent de bons résultats, ont la préférence des usagers et peuvent être assurés à un coût comparable aux services généraux de santé mentale.
« La transformation de la fourniture des services de santé mentale doit néanmoins être accompagnée de changements importants dans le secteur des services sociaux » a déclaré Gerard Quinn, Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des personnes handicapées. « Tant qu’ils n’auront pas été accomplis, on verra se poursuivre les discriminations qui empêchent les personnes atteintes de troubles de santé mentale de mener une vie complète et productive ».