La psychiatrie est très souvent sous le feu des projecteurs. Dès lors qu’un fait divers met en cause une personne dont le geste semble relever de la folie. Quels sont les éléments qui peuvent déclencher la violence ? Comment l’hôpital psychiatrique prend en charge ses patients, quels sont les outils, les moyens à leur disposition ? Des médecins, un infirmier, un psychologue du CHU de Nantes, ont accepté de témoigner.
Modifié le Publié le
Attention aux amalgames. « Nos patients sont plus souvent victimes de violences qu’auteurs », rajoute la Dr Alexia Romero, médecin psychiatre dans une unité fermée, qui accueille des patients ayant besoin d’un cadre rigoureux, qui ne sont pas libres de leurs mouvements.
Éléments multiples
Il n’empêche, admet Vincent Delaunay, qu’« un patient envahi par des images délirantes peut être sujet à des actes de violence ». Mais, dans le passage à l’acte, de multiples éléments interviennent. « La précarité sociale (isolement, pas de logement, manque de moyens et d’hygiène) rentre en jeu. Le facteur de violence le plus important est la prise de toxiques. Leur consommation, que ce soit du cannabis, de la cocaïne, des amphétamines ou autres produits de synthèse, est extrêmement dangereuse. Quelqu’un qui prend du cannabis et de l’alcool va multiplier par quatre le risque de passage à l’acte. » Sans pour autant avoir au départ une maladie psychiatrique. « Il y a une banalisation excessive de la prise de toxiques qui peuvent altérer notablement le cerveau. »
Comment contenir la violence ?
Une fois la personne très agitée hospitalisée, que se passe-t-il ? Comment est-elle prise en charge ? Avec quels moyens ?
« Le comportement d’une personne agitée, sous pression, surtout si on ne la connaît pas, peut être très imprévisible », souligne d’emblée Benoît Lesur, infirmier en psychiatrie. Pour éviter le passage à l’acte « contre lui-même ou autrui », les patients « peuvent être placés en unités fermées, sans possibilité de sortir, et en chambre d’isolement ».
« Les principaux moyens de contenir la violence, regrette le psychologue Pascal Métayer, se résume de plus en plus à une hospitalisation dans des unités fermées, aux chambres de soins intensifs, éventuellement la contention (le patient est attaché) et à l’administration de médicaments à forte dose. »
« Les grands fous dans les chambres capitonnées. C’est un stéréotype qui nous colle à la peau », s’agace Benoît Lesur. Et la contention, c’est un soin sur prescription pour une durée maximale de vingt-quatre heures (mais elle peut être renouvelée). « Le but, c’est de mettre le cerveau au repos pendant quelques heures. »
La chambre d’isolement, rebaptisé pudiquement chambre de soins intensifs, « c’est parfois faute de mieux », admet le Dr Vincent Delaunay.
Salle d’apaisement
« Ce n’est pas de davantage de chambres d’isolement que l’on a besoin pour contenir les gens, mais d’un grand plan de psychiatrie et de santé mentale, avec de vrais moyens pour soigner », insiste à plusieurs reprises la Dr Alexia Romero. Anticiper, prévenir, aller à domicile, c’est aussi le rôle des soignants et de l’hôpital. « Plus on va auprès de la population et des médecins généralistes pour mieux les accompagner dans la prise en charge des maladies mentales, mieux c’est. »
À l’hôpital, le travail en équipe, de médiation, est important. Mais il est délicat à développer alors que le turn-over est important.
Jour après jour, malgré tout, le personnel fait face. Parfois des détails font la différence. Un exemple : dans les unités fermées du CHU de Nantes, des salles d’apaisement ont ouvert à la fin du printemps dernier. Dotées d’un mobilier adapté, souple, et aménagé pour favoriser la relaxation, elles peuvent réduire le recours à l’isolement et à la contention.
« J’y fais maintenant la plupart de mes entretiens », dit Pascal Métayer, psychologue, ancien infirmier en psychiatrie. Il insiste sur l’importance de la parole. « Ce qui est opérant, c’est la pensée à plusieurs : qu’est-ce que se joue chez ce patient ? Pour remettre quelque chose de civilisé dans cette folie, symboliser cette pulsion qui déborde, essayer d’en saisir la logique, en faire des hypothèses. Le fait de parler ramène le patient à l’humain. »
Quand la violence s’invite à l’hôpital
La violence s’invite souvent à l’hôpital, et en psychiatrie, les témoignages des personnels sont légion. « En 2022, un homme a frappé un collègue avant de s’en prendre à moi, raconte Benoît Lesur, infirmier en psychiatrie par choix, depuis qu’il a eu son diplôme, il y a sept ans. Il avait déjà été hospitalisé ici, à Saint-Jacques. Il est revenu, il n’avait nulle part pour loger. Avec un médecin, on a voulu le raccompagner jusqu’à la sortie et c’est là qu’il nous a agressés. »
Les médecins et les infirmiers posent des cadres, donnent des médicaments, interdisent le portable, ils peuvent être perçus comme des ennemis. Contrairement au psychologue qui recueille la parole.
Le personnel est formé pour gérer ces situations difficiles fréquentes. À Saint-Jacques, une équipe de sûreté peut aussi intervenir. Mais certains craquent, abandonnent, n’en peuvent plus des sous-effectifs. La formation est aussi en question. Plusieurs voix réclament le retour d’une formation spécifique au moins au travers d’une spécialisation. Comme pour les infirmiers anesthésistes ou les infirmiers de bloc, font-ils valoir. « Quand on n’a pas eu la formation suffisante, c’est difficile de gérer la violence, les crises suicidaires, les personnes très délirantes », soulignent de nombreux médecins.
Faut-il garder un patient à l’hôpital, ad vitam aeternam ?
« Un patient qui s’est montré violent du fait de sa maladie mentale, estime Vincent Delaunay, n’est pas destiné à rester vivre à l’hôpital. Quand il est stabilisé, Il doit pouvoir sortir avec un soin médicamenteux et ou psychothérapique. La sortie se prépare. Il y a des essais sous surveillance pour voir comment il se comporte. S’il accepte son traitement, il va sortir. »
« L’hôpital a ses limites, rebondit l’infirmier Benoit Lesur, et l’hospitalisation aussi. Le problème, ce n’est pas la sortie, mais plutôt l’adhésion aux soins. » Une partie de son travail de très longue haleine est justement de faire comprendre à la personne la nécessité du traitement.
Mais « le risque zéro n’existe pas », rappelle Pascal Métayer le psychologue. L’urgent, rappellent les médecins, les infirmiers les psychologues, ce sont les moyens. « On manque de personnel médical et paramédical. Quel impact cela va-t-il avoir sur la santé mentale des Français ? C’est notre grande inquiétude. La psychiatrie traverse une période très délicate. »
Soins sous contraintes
Un patient très agité arrive à l’hôpital en général sous le régime des soins sous contraintes, c’est-à-dire sans son accord. Pour le seul département de Loire-Atlantique, en 2022 (les chiffres 2023 ne sont pas encore connus), 811 personnes ont eu des soins, sous contrainte, 100 à la demande de l’État, 262 pour péril imminent, les autres à la demande de tiers, avec ou sans certificat d’un médecin de l’extérieur de l’hôpital.
Schématiquement, un soin sous contrainte peut être demandé par un tiers (par exemple quelqu’un de sa famille) ou par l’État, en lien, bien entendu, avec un médecin. Il y a aussi les soins sous contrainte, pour péril imminent, signés par les seuls médecins psychiatres. Ce type de procédure augmente beaucoup. Tous ces soins sont contrôlés par le juge des libertés. « À Saint-Jacques, à Nantes, le juge des libertés passe tous les mardis et les vendredis, en audience. Il va entendre le patient qui peut être accompagné d’un avocat, et va statuer sur la régularité des procédures. Sont discutés les conditions d’hospitalisation, le maintien ou pas sous la contrainte. »
Unité de soins intensifs à La Roche-sur-Yon, en 2025
Dans certaines situations très particulières, quand le danger domine, la personne peut être hospitalisée en UMD, unité pour malades difficiles. Sauf qu’il n’en existe pas en Loire-Atlantique. Dans les Pays de la Loire, une Usip, une unité de soins intensifs en psychiatrie, structure intermédiaire entre l’hôpital psychiatrique classique et l’UMD, va ouvrir en 2025 à La Roche-sur-Yon, en Vendée. « Ce peut être un sas, pour une période déterminée, à l’attention d’une personne très agitée, très perturbatrice », estime le Pr Vincent Delaunay.